Galerie Lélia Mordoch |
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Les Tours, racines du ciel
Est-on plus près, de Dieu au 113éme étage ? Longtemps, la ville des gratte-ciel fut New York. Le voyageur voyait s’avancer sur la mer ces géantes de pierre qu’encore dominait le flambeau de la statue de la liberté. La proue du transatlantique fendait fièrement les eaux dans le port dominé par la ville, brouillant le reflet des buildings. L’Amérique.
Le voyageur européen est happé par la verticalité. Il se promène entre deux remparts immenses qui se rejoignent à l’infini, prisonnier de ces racines géantes, il renverse la tête pour regarder le ciel. Il est écrasé par la hauteur vertigineuse des édifices qui le dominent de tout leur orgueil.
Du sommet de la plus haute tour, je domine le monde. Le nez collé à la vitre, dans l’ivresse d’un vertige sécurisé, la ville déployée à mes pieds, je contemple la vaine agitation des fourmis, automobiles et passants qui ne sont plus que tâches minuscules, là-bas, en bas, tout en bas. La cité du futur du monde de mon enfance est là, étalée à mes pieds.
Les tours de verre s’adossent aux tours d’ivoire… impénétrables et translucides. Où sont les princes d’Aquitaine aux tours abolies ?
Joe Neill a grandi près de Chicago, la ville dont l’architecture faisait rêver dans les années 70. Le verre commençait à remplacer le béton. Il sculpte une ville de tours ouvertes en dentelles de bois dont la complexité emprisonne l’âme au fond du labyrinthe ou qui, lisses et fermées forment une sorte de parcours, circuit spatial des 24 heures du Mans ou d’Indianapolis. La tour est hermétique. Qu’y a-t-il à l’intérieur ? Est elle vide ou pleine ?
S’il y a une architecture du XX ème siècle, elle est verticale. La tour n’est plus l’apanage des seigneurs mais des multinationales. Nous avons inventé les mégapoles. L’art de la ville s’inscrit dans un land art urbain. Construire, construire… envahir la terre, le ciel et la mer, partir à la conquête de l’espace pour envoyer des bombes «grosses comme des machines à laver» former un impact «gros comme un stade de foot» sur une météorite qui ne nous a rien fait et se moque dans sa course de l’électroménager et des ballons, est-ce l’aboutissement des ambitions d’un siècle qui a vu l’homme marcher sur la lune ?
Vivre dans des tours est-il mieux que d’y être enterré comme à Palmyre où les morts gardent la cité de leur sommeil ancestral ? L’esprit du sculpteur est-il enfermé dans ses tours où son imaginaire se déploie dans une conception idéalisée de la cité ? Du haut de la plus haute tour, narcissisme suprême, je contemple mon reflet dans les nuages.
Joe Neill est le poète de la ville rêvée du siècle dernier.
Lélia Mordoch