Galerie Lélia Mordoch |
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" Paysages transportés "
Et si la sculpture devenait hymne à la nature, sonate d'automne, symphonie pastorale, paysage transporté? Si l'oeuvre d'art, d'essence culturelle se formait d'éléments naturels, si emblème de toute civilisation, elle revendiquait la nature comme source première?
La nature engendre l'émotion, la sensation, la sensualité, la vie Peindre directement avec des poissons, des arbres et des cailloux, c'est faire du vrai avec du vrai. Eliminer les faux-semblants.
Contrairement aux grandes étendues américaines, les paysages européens sont "civilisés" les lieux où l'homme n'a pas laissé sa marque sont rares.Emmanuel Fillot, Patrice Girard, Loïc Hervé, Keith Long, Laura Nillni sculptent tous, sans les maquiller, à partir d'éléments "naturels". Ils "peignent" avec des arbres, des poissons, des pattes de poulets, des cuivres, des roseaux, des bois flottés, des pierres, des métaux qu'ils glanent au fil du temps.
Leurs sculptures naissent de cette nature devenue matière, qui appelle l'alchimie de l'oeuvre d'art.Le bois est devenu géométrie chez Emanuel Fillot, il encadre la pierre et la souligne morceaux de falaise blanche échappés des marées sur "le chemin des Brumes", poteries africaines évoquant des cratères volcaniques d'où naissent montagnes et déserts.
Les pattes de poulets de Patrice Girard se métamorphosent en mains de femme aux ongles rouges et acérés de stars hollywoodiennes, mais la nature tout d'un coup s'évapore dans ses dernières oeuvres de nuages, comme si ses petits poissons qui étouffaient dans une planète desséchée par ses occupants étaient enfin libres, loin des fleurs artificielles des cimetières, comme s'ils s'échappaient du cadre de leur nature morte.
Laura Nillni fait de branches d'arbres les clés de ses portées musicales et réinvente toutes les nuances des essences précieuses des forêts tropicales argentines pour enchâsser ses partitions d'ombres portées en portées disparues, symphonie picturale.
Keith Long transforme des bâtons de chaise en soubassements de temples antiques, des bois flottés en corps stylisés, hommage à des civilisations depuis longtemps disparues.
Loïc Hervé nous convie à un voyage en Bretagne. Chaque sculpture est une île à la dérive, un radeau dont la chambre à air sert de fondement aux cuivres oxydés et au granit de la terre bretonne, une bouée sur laquelle vogue l'église, la maison, le phare, la Vierge échappés des noyades du temps. Nous voguons parmi ses balises comme si nous pouvions traverser les brumes d'Avallon. Il nous enlève loin de la ville pour nous emmener vers des contrées lointaines qui évoquent une nature discrète et triomphante, issue d'une civilisation de l'extrême. Un paysage où se mêlent nature et culture.
Ces sculptures sont refus et témoignages d'un siècle qui ne sait maîtriser toute sa technologie.
Quand François Morellet pose un tronc d'arbre sur une toile blanche, est-ce à dire que bientôt la nature ne survivrait plus que dans l'art ? En serait-on réduit un jour à ne plus voir les arbres que dans les musées?
Lélia Mordoch,
Juin 2002
suite Art Paris 2002